Hugh MacDiarmid (né Christopher Murray Grieve, 1892-1978) est l’un des plus grands poètes écossais du XXe siècle… et demeure encore presque inconnu en France*. S’il trouve sa place dans l’Anthologie bilingue de poésie anglaise de la Pléiade (2005), le choix de textes est bien maigre et peu représentatif de la diversité et de l’intensité de sa poésie (la notice ne mentionne même pas le titre de ses grands poèmes !). Artisan de la Renaissance écossaise, communiste fidèle à Lénine toute sa vie, et poète aussi génial qu’inégal, MacDiarmid se compare à un volcan qui vomit autant de flammes que d’ordures**. Héritier revendiqué de Burns et de Joyce, il a écrit aussi bien en dialecte écossais (notamment son grand poème A Drunk Man Looks at the Thistle, 1926) qu’en anglais, des poèmes et de longs textes autobiographiques expérimentaux, mêlant prose et poésie en vers libres (Lucky Poet). Voici la traduction d’un poème de 1933, le premier, peut-être, d’une longue série.
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Prise de conscience
J’ai atteint le stade où me demander où j’en suis
À propos de l’amour de l’Écosse et où me tourner
Vers mon propre esprit, cela me semble
Induit par quelque chose de radicalement différent
De tout ce que l’on entend ordinairement par amour
De son pays, de son frère humain, nul altruisme,
Nulle tendresse, nulle sympathie pour le monde extérieur,
Mais quelque chose de différent de tout cela,
Quelque chose que rendent terrifiant sa naissance,
Sa fureur et son feu, son étendue, sa hauteur et sa profondeur,
Quelque chose qui pousse, tout au fond
De mon être solitaire, singulier, à part,
Au fond de l’insondable obscurité de ma conscience,
Qui fleurit dans mon cœur, dans mon moi,
(Non Volonté d’être Puissant, mais d’être Florissant !)
Qui fait que véritablement je ne puis être moi-même
Sans cette étrange, cette mystérieuse rencontre
De la vie même de mon peuple dans la mienne propre –
Cette découverte terrible, éblouissante :
L’Écosse est en moi, et je suis dans l’Écosse,
Ainsi qu’un homme, fidèle aux lois et aux vues des hommes,
Découvre en lui-même une femme vivante, expressive,
Dont le cœur bat de ses propres émotions,
Et qui regarde le monde selon sa propre vision.
Traduit de l’anglais par ©M. Durisotti, 2014
* Notons que Jacques Darras l’a traduit dans sa revue In’hui, l’a adapté dans L’embouchure de la Maye dans les vagues de la Manche (La Maye III, avec des textes en traduction de Scot Érigène, Shakespeare, Bunting, MacDiarmid, Mackay Brown, Le Cri, Bruxelles, 1999), et en parle dans Les îles gardent l’horizon. Marches poétiques dans la littérature de langue anglaise, Paris, Hermann 2006.
** « My job, as I see it, has never been to lay a tit’s egg, but to erupt like a volcano, emitting not only flame but a lot of rubbish. » cité par S. Heaney dans Finders Keepers, London, Faber & Faber, 2002, p. 294.
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Conception
I have reached the stage when questioning myself
Concerning the love of Scotland and turning inward
Upon my own spirit, there comes to me
The suggestion of something utterly unlike
All that is commonly meant by loving
One’s country, one’s brother man, not altruism,
Not kindly feeling, not outward-looking sympathy,
But something different from all these,
Something almost awful in its range,
Its rage and fire, its scope and height and depth,
Something growing up, within my own
Separate and isolated lonely being,
Within the deep dark of my own consciousness,
Flowering in my own heart, my own self
(Not the Will to Power, but the Will to Flower!)
So that indeed I could not be myself
Without this strange, mysterious awful finding
Of my people’s very life within my own
– This terrible blinding discovery
Of Scotland in me, and I in Scotland,
Even as a man, loyal to a man’s code and outlook,
Discovers within himself woman alive and eloquent,
Pulsing with her own emotion,
Looking out on the world with her own vision.
Extrait de Collected Poems, éd. Alan Riach et Michael Grieve, Carcanet Press, 1992, rééd. Fyfield Books, 2004, p. 142.